dimanche 14 août 2016

Ancrage


Nous déambulons dans les rues de Paimpol à la recherche du marché. Nous longeons le port et suivons le flot des passants au panier vide, qui croisent en sens inverse, ceux dont la démarche lourde indique que leurs paniers sont remplis de produits colorés. Nous n’avons ni sac, ni panier, mais nous avons faim, prêt à nous laisser surprendre par les étals de bord de mer.

Il fait chaud comme à midi. L’ombre fuit les rayons brûlants. Les rues sont incandescentes. Nous avançons, suffocants presque. À quelques mètres se dessinent enfin les contours des tentes des marchands. Au détour d’une rue, une voix nous arrête. Cachée dans un filet d’ombre, monte le chant d’une femme. Elle tient, calée contre son épaule, comme un trésor, comme un enfant, une lourde harpe celte de bois sculpté. Ses doigts glissent sur les cordes de l’instrument qui se met à accompagner son chant dans toute l’harmonie de l’instant.

Nous nous arrêtons pour écouter le morceau. Mélissa se blottit contre moi. La main de Manon cherche la mienne. Au sommet de l’instrument, qui nous observe comme un cerbère, une tête de chien pointe sur nous ses yeux livides et ses canines pointues. Sous l’œil de cette chimère, nous écoutons immobiles. 

Les paroles d’une langue ancienne semblent évoquer l’amour perdu en mer. La complainte de l’amante qui pleure sa solitude et l’amertume du corps engloutit par cette autre amoureuse, jalouse et fatale. Sur les vagues musicales se dessine la silhouette d’une femme aux cheveux noirs à la robe couleur de sang qui chante face à la mer une supplique désespérée, insensée, pour serrer à nouveau son amour disparu. 

Je me laisse bercer par ce chant dans cette rue de Paimpol. Ce chant me ramène à l’émotion première. Les mots ne sont pas là encore, mais la sensation d'une certitude émerge du néant qui m'assaillait, me plonge à mon insu dans mon univers romanesque. Je devine la silhouette de nouveaux détails. L’écriture m’appelle par la voix de cette femme. Le fil est à nouveau dans ma main. Il m’a échappé un instant, mais le revoilà. Je le serre fermement et reprend mon chemin.

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