Mauvais rêve

C'est l'heure.
Je lui ferme les yeux. Il imagine déjà les contours d'un rêve. Mais, pour lui, ce soir, il n'y aura pas de repos. Je fais fuir le sommeil. Et derrière ses paupières closes, j'ouvre les portes d'un autre monde.

Dans son corps immobile, la douleur prend le pas sur tout le reste. Elle occupe tout l'espace jusqu'à devenir un être à part. Sa présence est tangible. C'est une ombre immense qui le surplombe, l'emprisonne, affirme sa force avec un sadisme assumé. Elle s'amuse à appuyer sur ses blessures. Elle lâche un grand rire en le voyant grimacer les yeux fermés et regrette même un peu qu'il ne lâche pas ce cri, retenu dans sa gorge serrée.

Il ne se débat pas, il est l'ange déchu. En signe d'abandon, il tend ses poignets alors même que la bataille n'a pas eu lieu. Car il ne se battra pas. Guerre ou pas, il a déjà tout perdu. Il se souvient d'une lumière qui faisait battre son cœur. Mais elle est partie. Alors, il laissera la douleur prendre jusqu'à sa vie. Plus rien n'a d'importance. Il n'est plus maintenant que le souvenir ancien d'un autre lui-même.

J'assiste à tout cela, je souffre auprès de lui, mais je n'interviens pas. Car je sais qu'au matin, la lumière sera là. Je sais cela, tandis que lui l'ignore. Mes lèvres sont scellées et je reste, immobile, dans le coin de la pièce où je me suis postée. Je laisse la longue nuit faire son oeuvre sur lui.

Il imagine l'épée s'abattre sur son cœur qui s'offre palpitant. Il imagine le coup tomber, le sang répandu et le silence libérateur qui rend l'absence supportable. Mais le mouvement tarde à venir, se suspend, s'interrompt quand jaillit, ténue, l'étincelle de l'éveil. Elle grandit peu à peu et emplit le songe de lumière. Il ouvre les yeux. Le cauchemar s'estompe et, avec lui, la douleur. Il ouvre les yeux et un possible nouveau se dessine où la vie est encore là et l'espoir dans ses mains.