dimanche 7 mai 2017

Atelier d'écriture du 06/05/2017 sur le thème "Insomnie"


Francine a pris le rôle d'animatrice de notre atelier durant l'absence de Salma. Elle nous a invité a nous pencher sur le thème de l'insomnie et ce fut passionnant ! 

Lectures : 
  • passages de "Notes d'oreiller" de Sei Shonagon
  • début de "Seul dans le noir" de Paul Auster
  • poème "Insomnie" dans Les Contemplations de Victor Hugo
  • passage de la nouvelle "Sommeil", dans L'éléphant s'évapore de Haruki Murakami

Nuit de chance 
Il est l'heure. L'heure du sommeil. Tout est là pour en attester : la nuit qui avance et masque jusqu'aux étoiles, la respiration lente des filles dans la chambre d'à côté. Même les grenouilles dans la mare ont cessé de chanter leurs amours d'été. Il est temps. L'heure avance, me rapprochant un peu plus du jour. Mais mes yeux restent ouverts.  
Il y a bien cette sensation lourde qui s'amuse à creuser autour de mes paupières et qui me rappelle qu'il faudrait que je pose ce stylo. Mon dos, courbé depuis trop longtemps, pousse quant à lui un cri d'alarme. Je me redresse un instant, me masse les épaules et poursuit, car il y a urgence. Avant le sommeil, avant le bienfaisant oubli du repos, il faut que je pose une idée sur le papier.
Elle est là et je ne me résous pas à la laisser m'échapper. Tant pis pour la fatigue qui m'étourdira demain, l'idée est là. Elle s'offre dans l'atour de séduisants mots justes. Je sais que si je ne la saisis pas dans l'instant, telle qu'elle m'apparaît à présent, elle risque de disparaître dans les plis du jour, de se perdre dans la lumière et je ne me remettrai pas de cela. Alors, je préfère la fatigue au remords et j'écris un peu plus.
Je me dis : "Encore une ligne et ce sera tout." Mais le stylo poursuit sa route d'encre. Il ignore crânement la tension qui raidit douloureusement les muscles de ma main. Il continue, parce qu'il a perçu avant moi qu'elle n'était pas venue seule, cette idée. Elle s'est dévoilé la première, comme pour donner confiance aux autres. "Voyez, on ne craint rien ici. On est bien accueilli. On nous pose sur le papier avec douceur. Venez avec moi. Étendez-vous dans ce cahier qui fera de nous simplement une histoire..."
L'idée, ainsi posée, appelle ses compagnes qui m'encerclent maintenant. Si j'avais pu envisager, quelques minutes avant, de me laisser tenter par le sommeil, c'est bien terminé alors ! Mon corps trouve, je ne sais où, les ressources d'une énergie nouvelle. Mon esprit excité bouillonne et s'évade à la suite de ces idées qui deviennent tour à tour des lieux, des personnages. 
Les mots se bousculent autour de nous, nous heurtent, nous pressent. Je perds conscience de cette réalité nébuleuse où il faudrait que j'éteigne la lumière, que je ferme les yeux. Mais j'oublie la maison, la chambre, jusqu'à mon identité. Ça y est ! Je baigne dans cet ailleurs merveilleux où papier et stylo sont mes seuls points de repère. Dans le creux de ma main, ils deviennent ma boussole.
Le jour peut bien venir. Ce n'est pas lui qui fera cesser l'insomnie. Ce n'est même plus moi qui suis maître de mon propre repos. Il faut que j'attende en écrivant que les idées se lassent, qu'elles se fatiguent. Elles d'abord ! Ce n'est pas un défi, juste un état de fait. Les choses se passent comme cela dans mes nuits de chance. 
Et quand elles en ont assez de danser sous mon nez, de faire des bonds sur les lignes de mon cahier, alors elles abaissent mon stylo, l'ôtent de mes mains. Elles ferment le cahier, le posent en baillant sur le chevet ou, les soirs d'épuisement, le regardent glisser au sol. Et moi, je ne le ramasse pas. Je me laisse border, L'insomnie m'abandonne brutalement et j'essaie de rappeler la magie de ce moment d'écriture, d'imprimer dans mon esprit un dernier mot, mais il est trop tard. L'oubli m'enveloppe. Je perds pied dans mon corps désormais immobile. Je ne pense plus. Je ne suis plus rien qu'une présence au fond d'un lit.
J'éteindrai au matin la lampe restée allumée. J'essaierai de me sermonner sans y croire vraiment. "Tu n'arrêtes pas de dire aux filles d'éteindre et voilà ce que tu fais... Bel exemple !" Un long bâillement me fera perdre mon peu de sérieux et je consulterai mon cahier à la hâte pour être sûre que les mots sont toujours là, inscrits dans le marbre de cette mémoire de papier et que, non décidément, ce prolifique épisode d'insomnie n'était pas un rêve.
 

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