dimanche 18 juin 2017

Atelier d’écriture du 17 juin 2017 : "Ce qui se dépose en nous"


Salma Kojok nous a encore fait voyager...
Le thème choisit cette fois était : « Ce qui se dépose en nous » (formule tirée du roman de Laurent Gaudé « Ecouter nos défaites »).
Il s'agissait d'explorer les paysages intérieurs, les images vécues, les scènes en mouvement, rêvées, vues, créées, réinventées, les visages, les mots, les sensations variées... et comment l’écriture se saisit de tout cela pour en faire un objet littéraire.

Lectures : 
  • R. Millet « Le plus haut miroir »
  • Laurent Gaudé « Écouter nos défaites »
  • J.-B. Del Amo « Le sel »

Et voici mon texte au terme des différents exercices d’écriture :

Elle est dans le trampoline et son dernier bond reste suspendu lorsque je surgis dans la cour. Ce qui se dépose en moi, c’est son regard d’abord qui s’accroche, capte ma présence et me suit jusqu’à ce que la voiture soit garée. Elle est immobile à présent, le visage collé au filet protecteur. Je la regarde à travers la vitre. Je prends cette seconde pour contempler son corps prêt à se lancer en un nouveau saut et cet éclat dans ses yeux qui goûtent avec avidité tout ce que la vie lui offre.
Je sors de la voiture et je m’approche. Les soucis de la journée se détachent de moi comme s’ils craignaient sa lumière et les joies s’intensifient à chaque pas que je fais vers elle. De longues mèches sont collées autour de son visage dessinant des boucles antiques encadrées d’une crinière fauve. Elle ne sourit pas, mais ses yeux exultent. Le soleil du soir irradie les cheveux de Manon composant un reflet malicieux dans ses prunelles. Ca sent la bêtise à plein nez ! Elle a fait quelque chose qu’elle rechigne à avouer et dont elle n’est pas peu fière.
Je fais tomber théâtralement mon sourire et demande, sur mes gardes :
« Coucou, mon ange. Tout va bien ? »
Elle acquiesce, puis hausse les épaules en pinçant les lèvres. J’ai envie de rire moi aussi, mais il faut que je tienne mon rôle, que je fasse la maman qui sait, qui ne cautionne pas, alors que j’ai juste envie de la serrer dans mes bras, cette divine chipie !
« Elle est où Méliss’ ?
— Ah, maman ! Tu tombes bien ! » lance sa sœur qui émerge tout à coup du jardin en faisant crisser les pneus de son vélo sur les gravillons.
« Tu sais ce qu’elle a fait, Manon ? Ah, j’en ai marre ! Vraiment, j’en ai marre ! »
Et commence le long exposé de leur dernière dispute. Un jouet prêté pas rendu, ou pris sans avoir été prêté. Je fais mine d’écouter mais, après la journée de travail, mon attention s’étiole. Alors je rassemble mes artifices et je fronce les sourcils, croise les bras, balance lentement la tête de gauche à droite en un long « Non » sentencieux. Je n’ai pas quitté Méliss’ des yeux, je n’ai pas tout écouté non plus. Lorsqu’elle interrompt son flot de paroles en signe de fin de rapport, je me tourne vers Manon qui attend tête haute, toujours perchée sur le trampoline. Cette furieuse envie de rire me saisit à nouveau. Je la retiens encore un peu. Il faut que je dise ma phrase et ce sera le tomber de rideau :
« Alors là, Manon, je ne suis pas contente, mais alors, pas du tout ! »
Je me tourne vers Méliss’, dont le visage si doux d’ordinaire est encore fermé par la bouderie. Je la prends dans mes bras. Elle se laisse faire. Je suis fatiguée et ne trouve pas les mots, laissons faire les corps. Sa tête se pose au creux de mon épaule. Des paroles murmurées déambulent de son oreille à la mienne :
« Je t’aime.
— Moi aussi.
— Ca va mieux ?
— Moui.
— Tu as passé une bonne journée ?
— Hum. »
Après un silence, elle demande :
« Maman, je voudrais refaire du vélo. »
Mes bras la libèrent. Mélissa s’éloigne. Son visage a retrouvé cette sérénité paisible et sa démarche ce port léger, presqu’aérien. Ses colères sont de courtes escales dans son voyage intérieur.
Je constate en la regardant disparaître derrière la grange que mes bras ont encore eu cette efficacité un peu magique. Je souris, un peu émue. Tout est tellement facile avec Mélissa. Pas de faux semblants. Des brassées d’amour et toutes les difficultés s’effondrent.
Interrompant mes pensées, le trampoline s’anime dans mon dos.
« Maman... »
Il y a, dans le murmure de Manon, un soupçon de repentir, je crois. Je me retourne.
« Maman, tu viens jouer avec moi ? »

1 commentaire:

  1. Tout est si parfaitement juste... je goûte la saveur de cet instant. Merveille d'un regard.

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