dimanche 3 septembre 2017

Atelier d’écriture du 2 septembre 2017 animé par Salma Kojok : Les portes



Thème : les portes que l’on ouvre, que l’on ferme, que l’on traverse.

C’est un mot riche qui s’inscrit dans de nombreuses expressions :

  • au sens propre : ouverture dans une maison, portes d’une ville, introduction à quelque chose...
  • au sens figuré : portes de la mort, des enfers...
  • expressions : voir midi à sa porte, balayer devant sa porte, la porte d’à côté, aimable comme une porte de prison...



Lectures :

  • « Au pays de la magie » Henri Michaux
  • « Miniaturiste » de Jessie Burton
  • « 9 portes » de Pierre Ménard
  • « L’enfant qui » de Jeanne Benameur
  • « Espèce d’espaces » de Georges Perec


Écriture d'un texte en plusieurs étapes avec le choix d’une porte, sa description, puis la construction d’une histoire qui s’anime autour d’elle, par elle...


Le témoin de la nuit 
Minuit, devant la porte, j’écoute le silence de la nuit. Autour de moi, la forêt est endormie. Le grand tumulte du jour est éteint pour plusieurs heures et je tends l’oreille. Le battant de la porte est face à moi, à quelques mètres à peine. Une lumière filtre à travers la lucarne. Elle s’atténue tout à coup. Tu as éteint dans le salon. Il ne reste que la lampe de la chambre, je crois. Tu travailles toujours si tard. Jusqu’à quelle heure liras-tu ce soir ? C’est comme si tu cherchais à t’empêcher de penser, à ne plus entendre ce qui se bouscule dans ta tête. Ces questions métaphysiques qui me donnent la nausée, je sais qu’elles viennent te hanter aussi. Je te connais si bien et pourtant, je ne t’ai jamais parlé. 
Je suis là devant ta porte. D’un côté, il y a moi, la forêt et la nuit. De l’autre, il y a toi et l’espace restreint de cette maison où tu te crois seule. Je vais m’installer dans le creux de ce tronc que j’ai trouvé il y a quelques nuits. Il ne faut pas que je m’endorme. Mais être là et m’empêcher de rêver, c’est bien impossible ! Lutter contre le sommeil ne m’est pas difficile, mais comment envisager de rester ici sans voir, par la pensée, ce simple battant de bois qui nous sépare voler en éclats ? Je sens bien que si je ne me concentre pas sur cette image, je ne pourrai que la réaliser. C’est le dernier rempart qu’il me reste pour ne pas me laisser aller à cette violence : imaginer encore et encore que cette porte est un obstacle que je franchis avec facilité. Et après ? Je reviens à mon point de départ et je la brise à nouveau. Je m’impose ce cycle infernal. Parce qu’après, si je m’autorise à passer la porte, je serai devant toi. Tu pourrais me prendre pour un fou. Tu pourrais me jeter dehors. Tu pourrais disparaître. Ou alors... Ou alors, tu pourrais tendre la main et faire renaître ce jour... Ce jour, Annabelle, où tu m’as donné vie, où tu as fait battre un cœur mort.  
Trop de peut-être. Je me blottis contre l’arbre froid et j’écoute ton souffle dans le silence. 

J’ouvre les yeux. Le jour se lève à peine. Face à moi, la petite porte de bois brut est immobile. À travers la lucarne qui perce le battant, il n’y a plus que de l’ombre. C’est comme si la lumière qui nimbait hier ce losange de vitre opaque s’était déplacée à l’extérieur et avait quitté ta maison. La lumière à cette heure du jour semble t’appeler, elle a la couleur de tes yeux. Je réalise cela et, en même temps, j’entends un bruit à l'intérieur. Tu es éveillée. J’aimerai t’apercevoir avant de partir. Mais il faut que je parte. Je suis déjà resté trop longtemps. Quelle heure est-il ? 

Il est 8 heures, tu ouvres la porte. Tu te lèves toujours tôt, mais c’est la première fois que je te vois sortir avant 10 ou 11 heures. D’habitude, tu sors par la porte d’entrée et c’est la porte de derrière que tu empruntes à présent. C’est une journée ordinaire pourtant : il ne fait ni plus chaud, ni plus beau. Rien à célébrer. Je ne connais pas ton emploi du temps, ni tes obligations, mais je sais tes habitudes. Je ne comprends pas ce qui motive cette sortie par la porte dérobée, celle que l’on ne voit pas depuis la cour ; alors que l’on ne voit même pas la porte d’entrée ou même ta maison depuis la grande route ; alors que l’on devine à peine le chemin de terre, à demi masqué par les arbres, qui mène jusque chez toi. Tu es un secret au cœur d’un secret. 
Je suis caché moi-même et je te laisse me surprendre. Tu passes l’encadrement. Dieu que tu es belle dans la lumière du matin ! Tu es à peine maquillée, les cheveux en bataille. Je ne suis pas sûr que tu te sois changée depuis la veille. Je reconnais ton jean et c’est le même gilet qui enserre tes épaules. Tu ne sais pas que je suis là et je brûle de bondir de ma cachette. Mais pour dire quoi ? Je sais qui tu es et je vais te dire qui nous sommes. J’entends déjà mon père : « Tu es fou, Luke ! » Oui, je suis fou, car je te laisse t’éloigner. Je me lève les épaules basses avec l’envie de hurler. Il faut décidément que je parte.

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