Evidence

Salma a lu mon roman. Nous nous sommes vues cette semaine pour en parler. Sur le chemin, j’avais peur de ce qu'elle allait me dire. Et puis, je me suis rappelée que j’allais voir Salma, qu’elle trouverait les mots. Ce serait moins difficile à entendre. En même temps, je m’accrochais au souvenir de mes personnages. Je les ressentais, comme un écho, dans ma poitrine. Ils me soufflaient que rien ne pourrait advenir de mauvais, qu'ils étaient assez solides maintenant pour revendiquer leur droit à exister. Je baignais mon appréhension dans cet état de confiance.

Je suis arrivée et j’ai fait celle pour qui tout cela n’avait pas tant d’importance. J’ai eu un grand sourire pour l’amie que recevait Salma. La cuisine sentait bon la tisane du Liban. Sur la table, des vestiges d’un goûter partagé avaient été mis de côté pour moi. Dans les bras de la femme un petit chien m'observait de ses grands yeux. Quand je suis entrée, il avait soigneusement grogné. Il a passé le reste du temps à me jauger, sans amitié, mais avec une profonde gravité. Lui savait ce qui se jouait en moi.

J’ai attendu que le moment arrive, plusieurs minutes, après les politesses, les dernières nouvelles, les sourires. Je me laissais bercer par la conversation. Je commençais à penser à autre chose qu’à ce pincement au corps qui résonnait dans ma tête. Puis, la femme est partie et, avec Salma, nous avons cerné nos fronts de sérieux. Le moment était venu. Celui où l’on parle, où l’on écoute, où l’on explique, où l’on dévoile. 

Salma a ouvert son ordinateur et m’a dit, en pesant chaque syllabe, d'un ton très solennel : « Alexandra, il faut que tu continues à écrire. » La chrysalide a crevé, le pincement est devenu papillon. Je me suis sentie, en une fraction de seconde, à la fois légère et écrasée de fatigue. La certitude a vibré dans ma poitrine et elle est devenue, par la bouche de cet autre merveilleux qu’était Salma face à moi, une évidence.

Je continue.