dimanche 12 février 2017

Atelier d’écriture du 04/02/2017 animé par Salma Kojok : « Au train où nous allons »



Le train est un objet romanesque qui a fasciné de nombreux écrivain : lieu de transition, du voyage, de réflexion sur soi. C'est une parenthèse où le temps s’écoule de manière particulière, un lieu de solitude et de rencontres possibles.

Encore une fois Salma a été un guide étonnant dans ce périple d'écriture. Après une succession de lectures et d'exercices, voilà où les mots m'ont menée cette fois : 
Elle resta sur le quai, indécise, au milieu de la foule du départ. L’heure approchait de monter dans ce train qui semblait déterminé à vouloir lui échapper, tandis que, sur l’écran, lettres et chiffres défilaient incessamment, rendant sa lecture impossible. Alors, comme un bateau sans amarres, elle se laissa porter par la marche d’un groupe, puis d’un autre. Elle parcourut le hall de gare de part et d’autre dans une errance désespérante, pour se retrouver, un peu par hasard, devant la porte d’un wagon.

Une voix annonça le départ prochain. Sans réfléchir, elle se précipita, bondit sur les marches branlantes et disjointes et pénétra dans le train. Lorsqu’elle entendit les portes claquer dans son dos et la locomotive s’ébranler, alors seulement, elle se demanda si elle ne s’était pas trompée. Venir dans ce pays était une folie. Elle y était déjà perdue. Alors pourquoi avait-elle voulu poursuivre ce voyage ? Il y avait cette petite voix bien sûr. Celle qui prenait sens sur le murmure des rails et qui lui disait de poursuivre son chemin.

Elle s’installa pensivement sur un bout de banquette où une famille ensommeillée s’entassait déjà et laissa errer son regard à travers la vitre. Dans le ciel, le bleu commençait à tendre vers le noir, de cette manière presqu’imperceptible au cœur des grandes villes. Bientôt, l’ombre emplirait le cadre de cette fenêtre et pénétrerait jusque dans le wagon. Ce ne sont pas les faibles lampes inondant les couloirs d’une lueur blafarde qui empêcheront la nuit d’entrer jusqu’ici, de recouvrir tout, les objets, les êtres et même, le mouvement cahotant de ce train d’un autre âge.

Elle regarda par la fenêtre regardant le soleil et la ville disparaître, bercée à présent par le mouvement léger de sa fuite. Oui, une fois encore, la peur était restée là-bas. Elle la rattraperait bien sûr, cette sombre compagne de son passé. Mais, une fois encore, elle avait un train d’avance. Dans cette parenthèse d’oubli, elle pouvait bien se laisser aller au mouvement doux du train, interrompu parfois par quelque soubresaut mécanique.

Le voyage se poursuivait, à travers la nuit et le jour nouveau. La destination ne se profilait pas encore. Le voyage s’étirait sur ce lendemain devenu aujourd’hui. Le mouvement continuait, interrompu par cette question qui roulait dans sa tête, au rythme de la musique des rails : comment vivrait-elle en sortant de ce train ? Il ne s’agissait pas de commencer une nouvelle vie : le départ du premier train avait été le commencement et la vie nouvelle se prolongeait dans ce voyage. Non, il n’y avait de destination que dans cette immobilité qui la menait ailleurs. Elle mit dans sa poche le billet dont elle ne saurait sans doute jamais s’il correspondait au lieu qu’elle allait découvrir bientôt.

Comment vivrait-elle alors ? Comme elle avait vécu jusqu’ici : en laissant le hasard mettre sur son chemin les moyens de sa subsistance. Et, dans ce lieu nouveau, la peur reviendrait, la prenant par surprise, au détour de l’étape. Ce serait comme une nouvelle rupture dans sa quête de bonheur, dans son oubli d’elle-même. Elle serait à nouveau face au visage de la femme qu’elle avait été un jour, dans une autre vie. Cette femme qu’elle voulait croire à jamais disparue et qui se faufilait de son passé à son présent, qui la poursuivait d’une correspondance à l’autre. Son voyage était une fuite en avant qui ne prendrait jamais fin. Changer de lieu frénétiquement pour oublier cet autre possible, cette temporalité parallèle dans laquelle la peur se contorsionnait et oublier cette femme qu’elle aurait pu être.

L’enfant avait grandi bien sûr. Depuis tout ce temps, elle n’avait plus le droit de penser à lui, de se croire sa mère. À l’arrivée du train, la peur la retrouverait et lui conterait encore la vie qu’elle avait aurait dû mener, le carcan dont elle s’était extraite au détriment de l’enfant. Loin des rails, la peur coupable résonnerait encore. Alors, le temps du voyage, elle s’accordait un moment d’amnésie. Ne pas savoir, surtout ne pas savoir et poursuivre le chemin où se dessinait, pas après pas, cette éphémère, cette déboussolante liberté.  

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