Atelier d'écriture du 23/12/2017 : Aventures du quotidien

Notre chère Salma Kojok nous invite cette fois à explorer le quotidien sous l'angle des gestes qui font rituel. Ils peuvent receler des trésors pour l'écriture et notamment pour construire un personnage (dans sa singularité et, en même temps, dans ce qu'il a d'universel).

Lectures extraites de « Petites scènes capitales » de Sylvie Germain, « Nos vies » de Marie-Hélène Lafon et « Les années » d'Annie Ernaux.

Consignes d'écriture :

1. Écrire un texte autour du repas (incluant les gestes du repas et les autres gestes qui ont lieu pendant le repas sans avoir un lien direct avec lui) ;
2. Montrer les gestes, comme dans une scène de film, sans commentaire du narrateur. On ne connaît ce que vit le personnage intérieurement ;
3. Ne pas utiliser de mots de liaison qui indiquent le temps qui passe (ensuite, après, avant...)

Cartoons et glouglous 

La mère piétine. La table est dressée. Les plats sont servis, mais ne fument presque plus.

« Les filles ! À table ! C'est prêt ! 

 ̶  Ça y est, maman, on arrive !

 ̶  Oui, ben, ça fait au moins trois fois que j'appelle ! Je m'en fiche, je commence !

 ̶  On est là. »

Les fillettes entrent dans la cuisine. La plus grande, au petit trot et un peu essoufflée. La seconde suit, quelques pas derrière. Elle avance lentement en boudant un peu.

« On a fini notre jeu, maman, lance la première. Et puis, j'ai rangé parce qu'après, c'est le bazar. Et... Manon, elle m'a même pas aidée !

 ̶  C'est pas vrai ! se défend immédiatement la seconde.

 ̶  Ok, c'est bon. À table. Ça doit être froid. »

La mère s'assoit, imitée par les deux fillettes qui traînent leurs chaises sur le carrelage.

La plus petite joue avec ses couverts. Ils tintent contre l'assiette et retombent soudain sur la table. La cadette se lève comme un ressort et se dirige vers la télé. Elle n'a pas rejoint la table qu'un dessin-animé s'agite déjà derrière l'écran.

« Tu me passes le sel, maman. »

La mère se lève en soupirant, attrape le sel sur l'étagère en hauteur et le tend à la plus grande.

« Merci, maman. Je t'aime, tu sais. »

L'aînée prend le sel d'une main et de l'autre caresse la joue de sa mère dont les lèvres pincées s'adoucissent en un sourire.

« Moi aussi, ma belle. Mange. »

Le sel passe d'une assiette à l'autre. Les fourchettes tournent, piquent, emprisonnent les pâtes et les font disparaître dans les gosiers. Une chanson émerge de la télévision qui capte l'attention des enfants. La mère picore rêveusement, se laissant absorber à son tour par les images tourbillonnantes du cartoon. Son regard glisse de son assiette à celles de ses enfants. D'un côté, les couverts sont suspendus, vides, dans les airs et de l'autre, sont retombés épars sur la table.

« Manon, tu n'as pas fini ton repas.

 ̶  J'en veux plus.

 ̶  Du formage alors ? Un dessert ?

 ̶  Il reste du Bleu ?

 ̶  Tu l'as terminé hier. Mais il y a du Camembert. Tu aimes ça, le Camembert ?

 ̶  Non, répond l'enfant en se dandinant sur sa chaise.

 ̶  C'est nouveau ! Et tu vas où ?

 ̶  J'ai plus faim. »

La petite sort de la cuisine en courant. La mère souffle et se tourne vers son aînée.

« Et toi, ma douce, tu n'as pas touché à ton jambon.

 ̶  J'aime pas la viande... répond la fillette en rentrant la tête dans les épaules.

 ̶  Ça va encore faire plaisir aux chats... Tu prendras un dessert ? demande la mère en passant la main dans les cheveux de sa fille.

 ̶  Oui, maman, ronronne l'enfant avec un sourire. »

La mère se lève et se lance dans des allers et venues du frigo au lavabo. Elle pose la boîte à fromage, des yaourts et des fruits devant la fillette qui patiente en ne quittant pas l’écran des yeux.

La table se vide et le lave-vaisselle se remplit. La mère met en route la cafetière. Le liquide brun coule en lâchant de temps en temps un glouglou mécanique.

Perdue dans ses pensées, la mère sursaute quand la télé s'éteint.

« J'ai fini, maman. Je peux retourner jouer ?

 ̶  Oui, vas-y, ma douce. »

La mère se serre un café et le sirote en silence dans la cuisine désertée.