Il y a plusieurs espèces de silence.
Celui, terrible et insupportable, de la solitude qui résonne et s'entrechoque contre les murs, qui enferme et désespère.
Celui, plus doux, qui invite à la patience parce que les mots que l'on attend sont occupés ailleurs, mais laissent une forme d'aura lointaine, murmurent une pensée certaine, promettent un retour imminent.
Et il y a celui qui m'entoure ce matin, que je n'ai pas envie de rompre. Il est plein de présences endormies, de rêves et de soupirs bienheureux, brisé parfois par un mouvement, une couverture que l'on remonte jusqu'à son nez. Ce silence est précieux, chaleureux et doux comme des bras aimants. Il protège des êtres qui ont grandi mais qui à ce moment, cernés de sommeil, sont redevenus minuscules dans leurs berceaux immenses.
J'écoute ce silence, je savoure son mutisme bavard. Il me parle sans mots et je ne peux ignorer sa présence. Alors je le salue un peu émue, lui dis simplement que je suis reconnaissance de l'accueillir sous mon toit. Que je l'invite à revenir aussi souvent qu'il le souhaite. Que j'aime qu'il soit là.
Car il est l'invité de plus, impalpable, imprévu, mais évident, qui vient clore les fêtes joyeuses et douces. Au matin, on le retrouve à la table de ceux qui se lèvent aux aurores et qui écoutent les souffles tranquilles des autres qui ont veillés plus tard. Ce silence est une musique : celle du bonheur paisible.
Quand je suis devenue maman, j'avais souhaité cela : accueillir ces moments de silence, être celle qui au matin veille sur le sommeil de ces êtres qui donnent un sens à tout, les accueillir en un lieu où il est possible de trouver ce repos-là. Et ce matin, ma tasse fumante à la main, je me dis que les années sont passées, que les enfants ont grandi et que mon vœu est réalisé. Je salue ce silence plus éphémère à chaque minute qui passe, bientôt nous nous diront au revoir. Nous ne sommes pas tristes, nous savons l'un et l'autre qu'il reviendra fêter la joie d'un autre matin.
Maintenant je suspends l'écriture pour l'écouter encore un peu. Il faut savoir s'arrêter pour assister à ces moments de vie rare. J'écoute de tout mon cœur. Le soleil vient percer de sa lumière le voile de la nuit. Les yeux vont s'ouvrir, c'est imminent. J'écoute. Le vent est suspendu, même les oiseaux semblent s'éloigner un peu pour ne pas troubler cet instant de leur chant matinal. Il y a quelque chose de fragile dans cette poignée de minutes.
Le silence s'estompe. J'écoute encore, je tends l'oreille pour le retenir un peu. Bientôt le mouvement et le bruit et les rires viendront le remplacer. J'éprouve une miraculeuse pointe d'impatience à cette idée. Quelque chose se réveille en moi aussi. Je dénoue les bras du silence enroulés tendrement autour de mes épaules. Je souris à présent, avec un peu d'avance, des cheveux emmêlés, des visages hagards et des récits joyeux de la nuit qui vont m'être contés. J'ai envie de crier mais je me retiens d'appeler au mouvement et à la vie. J'attends qu'ils se réveillent.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
1. Saisissez votre texte ci-dessous
2. Sélectionnez un profil
3. Cochez la case "M'informer", pour être avisé d'une réponse à votre commentaire
4. Publiez (le message sera affiché après modération)
Merci pour votre contribution :)