La petite sirène

C'était il y a quelques semaines. Elles allaient voir un spectacle avec leurs écoles. La petite sirène. La vraie version. Celle d'Andersen. Je les enviais un peu, j'adore ce conte tragique. Elles se préparaient après le petit déjeuner et dans la salle de bain, j'entendais leurs propos : elles étaient en colère à l'avance. Elles ne comprenaient pas l'abnégation de la sirène face à ce prince dont le manque de finesse était évident pour elles. Dans toute la jeunesse de leur liberté, elles n'adhéraient pas, ne donnaient aucune chance au conte lu ces derniers jours par leurs maîtresses respectives.

Je comprenais leur indignation et en même temps, j'éprouvais le besoin de leur faire partager ma fascination pour cette histoire. Je voulais aussi qu'elles profitent de ce moment de théâtre auquel elles allaient assister, que la magie opère un peu... Alors je leur ai dit :  

" Les filles, moi, j'aime cette histoire. Et vous savez pourquoi ? C'est parce qu'au-delà du personnage qui meurt et qui souffre - il faut mettre ça de côté et garder en tête que c'est une histoire. Il y a une idée : c'est qu'à un moment donné l'amour est plus important que tout. Cet amour absolu de la petite sirène lui permet d'aller au-delà de ses habitudes, de ses craintes. On a l'impression qu'elle est faible et fragile, mais en fait, cet amour lui donne une forme de force extraordinaire. Elle n'a plus peur de rien. Elle aime. Elle fait de son choix, son destin et, malgré les difficultés, s'y tient jusqu'au bout. Et c'est ce qui rend son histoire magnifique."

Les filles m'ont regardé dans un silence total. Elles se sont imprégnées, du haut de leur jeune âge, de mes mots. Il y avait quelque chose de compliqué encore à comprendre, pourtant ça a vibré en elles. Je l'ai vu au fond de leur yeux. Ce n'était pas encore intellectualisable, verbalisable, mais c'était là. La graine s'est posée dans ce coin de terre tout proche de leurs deux cœurs. La colère s'est apaisée, elles avaient compris l'essentiel de la métaphore.