dimanche 23 avril 2017

Atelier d’écriture du 19/04/2017 sur le thème : « Mémoire d’enfance »


Nous avons exploré le thème de la mémoire d'enfance dans cet atelier animé par notre merveilleuse Salma. Comment cette mémoire nourrit-elle l’écriture ? Où retrouve-t-on les sensations d’enfance ? Dans les objets, les odeurs, les silences, les lieux, l’ennui, les frontières, le grand et le petit, l’infini...

Lectures d'extraits de :

  • JMG Le Clézio « L’Africain » et relevé de mots
  • G. Pérec « Espèce d’espace »
  • R. Millet « 5 chambres d’été au Liban »  


Souvenirs de cette chambre partagée durant l’enfance avec ma sœur 
J’ai la mémoire sélective. J’ai oublié les cris, les disputes, les larmes. Mes souvenirs, dans cette chambre, commencent avec toi. Quoique tu n’étais pas un nourrisson. Peut-être dormais-tu, au début, avec les parents ? Je ne sais plus. Je te revois juste dans ton lit de grande dont le pied donnait à la tête du mien. Comment est-il arrivé là ? À quoi ressemblait la chambre avant ton arrivée ? Mystère. 
Dans mes premiers souvenirs - quel âge as-tu ? 2, 3 ans ? -, je t’apprends les règles de jeux, nous répétons les scénarios – toujours les mêmes -  des Barbies qui excellent dans un domaine (le chant souvent) et qui tombent amoureuses du seul Ken que nous possédions. Te rappelles-tu les longues heures que nous passions à les peigner ? Combien de secrets avons-nous échangé durant cette activité ? 
Parfois, nous devenions nos propres poupées. Nous nous faisions belles, enfonçant autant de barrettes qu’il était possible d’en porter dans nos cheveux, composant avec nos robes de chambre des tenues de princesses ou de fées. Nous convoquions les parents en fin de journée pour assister à nos spectacles. L’histoire était décousue. Nous improvisions rapidement. Cela faisait rire l’autre ou l’impatientait ostensiblement. Avons-nous jamais fini un de ces spectacles ? Je me souviens que les parents ne restaient pas longtemps. Le spectacle sans spectateur se poursuivait en jeu. 
Je faisais des choses sans toi bien sûr. Il y avait le sommeil et les devoirs. Que faisais-tu tandis que je passais de longs moments d’écriture à mon bureau ? Je te cherche dans la chambre, mais je ne te vois pas sur le grand tapis. Sans doute avais-tu l’instruction de me laisser seule pour que je puisse me concentrer. Et alors étais-tu dans le salon occupée à jouer ou à regarder la télé ? Mes souvenirs sont trop étroits. Je m’aperçois que je vivais des moments précieux et que j’ai laissé échappé des détails, des indices. J’aurai voulu pouvoir m’ancrer à ton rire dans la pièce d’à côté pour être sûre en ce moment. Mais rien. 
Je me revois, entourée de livres, le stylo à la main, penchée sur un cahier et me relevant tout à coup, comme pour reprendre mon souffle. J’ai passé de longues heures à laisser mon regard errer par la fenêtre toute proche. Il y avait trop de détails pour que j’en choisisse un sur lequel fixer mon attention. Pas de paysage à contempler ou devant lequel m’ébahir : l’immeuble d’en face était une longue façade grise, carrelée par endroits de jaune et percée de rectangles vitrés trop étroits pour offrir une quelconque perspective sur la vie qui s’y menait. Alors, quand je regardais dehors, j’inventais mon paysage. 
Mes rêveries venaient nourrir nos jeux. Parfois nos imaginaires se heurtaient. Il nous fallait de longs dialogues pour convenir d’une solution et nous rebondissions sur une autre trouvaille. Nous ne sortions pas beaucoup et cet espace de notre chambre était notre grand-place. Tout se passait ici : du plus insignifiant détail aux plus déterminantes décisions. Le plus important de mon enfance s’est joué dans cette chambre qui nous a vu grandir et lorsque nous avons déménagé, que nous avons fait chambre à part, ce n’était plus pareil. 
Tu étais alors à l’autre bout du couloir. Nous tenions porte close désormais, chacune donnant un peu plus de réalité à nos rêves distincts. Il n’était plus question de jouer, mais de vivre, de s’imprégner avidement de la couleur des corps et des âmes. Nous n’étions plus des enfants. Nous n'habitions plus tout à fait ensemble. "L'autre bout du couloir" s'est allongé et nos vies ont changé.
J’avais tellement hâte de grandir et j’ai mis de côté ces souvenirs. Tout s’est fait ou défait trop vite. Je les ai laissés, un peu abandonnés dans cette chambre d’enfance qui n’existe plus, du moins plus comme elle était alors. Son espace s’est réduit. Elle est devenue un coffret où je retrouve à présent bosselés, écornés, jaunis ces moments de rires fous qu’il nous arrive encore de partager.

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