Après La Tresse, Les victorieuses est le deuxième roman de Laetitia Colombani (chez Grasset).
Synopsis :
À 40 ans, Solène a tout sacrifié à sa carrière d’avocate : ses rêves, ses amis, ses amours. Un jour, elle craque, s’effondre. C’est la dépression, le burn-out.
Pour l'aider à reprendre pied, son médecin lui conseille de se tourner vers le bénévolat. Peu convaincue, Solène tombe sur une petite annonce qui éveille sa curiosité : « cherche volontaire pour mission d’écrivain public ». Elle décide d'y répondre.
Envoyée dans un foyer pour femmes en difficulté, elle ne tarde pas à déchanter. Dans le vaste Palais de la Femme, elle a du mal à trouver ses marques. Les résidentes se montrent distantes, méfiantes, insaisissables. A la faveur d'une tasse de thé, d'une lettre à la Reine Elizabeth ou d'un cours de zumba, Solène découvre des personnalités singulières, venues du monde entier. Auprès de Binta, Sumeya, Cynthia, Iris, Salma, Viviane, La Renée et les autres, elle va peu à peu gagner sa place, et se révéler étonnamment vivante. Elle va aussi comprendre le sens de sa vocation : l’écriture.
Près d’un siècle plus tôt, Blanche Peyron a un combat. Cheffe de l'Armée du Salut en France, elle rêve d'offrir un toit à toutes les exclues de la société. Elle se lance dans un projet fou : leur construire un Palais.
Le Palais de la Femme existe. Laetitia Colombani nous invite à y entrer pour découvrir ses habitantes, leurs drames et leur misère, mais aussi leurs passions, leur puissance de vie, leur générosité.
Il y avait l’image sombre,
abyssale de la précarité dans le roman La
norme et nous de Johanna Almos, présentée dans un précédent article. Dans
Les victorieuses, la précarité est là également. Elle n’est pas rose non plus.
Mais elle s’inscrit dans un lieu où l’espoir est permis.
Et puis, il y a la plume de
Laetitia Colombani. Cette plume qui vous transporte dès les premiers mots. A ma
mère. A ma fille. A toutes les femmes du Palais. C’est ainsi que commence Les
victorieuses. C’est ainsi que j’ai été happée...
Il faut dire que je nourrissais
une grande attente après La tresse qui m’avait proprement bouleversée l’an
dernier (lire/relire mon retour de lecture sur La tresse ici). J’avais écrit alors avoir fait une rencontre. Et ces derniers jours,
j’ai retrouvé à travers la plume de cette auteure, un univers accueillant et
désormais, familier. Les contours, les décors, les personnages étaient neufs
mais l’atmosphère, la chaleur étaient les mêmes, comme un parfum de
chez soi retrouvé dans un autre lieu. Une madeleine de Proust.
Les victorieuses, ce sont des femmes qui se sont agrippées de
toutes leurs maigres forces aux petites victoires qu’elles remportaient sur la
vie parfois – souvent – dure et cruelle, violente, insupportable, inacceptable.
Elles n’abandonnent pas, parfois se découragent mais vite se ressaisissent et
toujours remontent la pente immense et s’accrochent à chaque minuscule pas
accompli.
Les victorieuses, ce sont notamment Blanche Peyron et Solène. Deux
femmes, à deux époques différentes, liées par leur volonté, leur tempérament et un lieu
emblématique, presque magique qui vibre de la mémoire de celles qui ont vécu
entre ses murs.
Blanche Peyron d'abord. J’écris cet
article notamment pour me faire l’humble écho de son nom. Une inconnue qui a
tant fait... Il faut que les gens sachent, moins pour connaître la femme
qu’elle a été, que pour suivre son exemple, s’inscrire dans sa mouvance,
éprouver sa sensibilité, son énergie, son dévouement indéfectible. Une héroïne
des temps modernes.
Solène est son pendant
contemporain. Mais là où Blanche est d’emblée dans l’affirmation de soi, Solène
apparaît prostrée. Elle se redéfinie, apprend à se relever. Tout au long du
roman, on assiste à sa métamorphose. Lente car tout est découverte : elle se heurte à la réalité de femmes pour lesquelles le plus dur
est passé. La pauvreté est là, mais la violence est restée dehors et elles sont
à l’abri au Palais. Elles ne sont pas hantées par des démons – comme peut
l’être Solène – elles les ont laissés derrière elles. Mais pour Solène, le
travail et le passé sont deux monstres qui ont absorbé sa vie et l’ont laissée
pantelante en périphérie d’elle-même. Un amour perdu, un enfant jamais porté,
tout ce temps qu’elle a laissé lui échapper, elle le vit d’abord comme une
fatalité. Puis peu à peu, elle lâche prise : Quitte tout et tu trouveras tout, se souvient Blanche en début de
roman (page 34), avant de mettre en application cet adage. Il faudra un peu
plus de temps à Solène pour se défaire de ses vieux schémas et le mettre en
œuvre.
C’est un roman d’une grande
richesse. Chaque détail est beau et mérite de s’y attarder : toutes ces
femmes, leurs parcours, leurs errances... Binta, Iris, La Renée, Salma, Sumeya,
Viviane... Et cette histoire d’amour admirable et touchante entre Albin et
Blanche... Il y a également deux personnages posés en arrière-plan, muets :
le Palais des femmes et l’écriture. Ils sont le décor et le lien. Le refuge et
l’espace de liberté.
Le Palais des femmes est immense et existe par la volonté et l’énergie de Blanche. C’est un espace
vaste et lumineux où le temps s’arrête pour que les femmes y pansent leurs
plaies. L’écriture habite le Palais également par le biais des citations des
bienfaiteurs grâce auxquels le Palais a pu voir le jour et qui ornent les
portes des chambres des résidentes. Encore un lien. Tout un symbole...
Mais l’écriture est d’abord
incarnée par Solène qui, suite à un burn-out, devient écrivain public bénévole
pour les femmes du Palais : Prêter sa plume, prêter sa main, prêter ses mots à ceux qui en ont
besoin, tel un passeur qui transmet sans juger. (page 114)
Évidemment le retour à l’écriture
(passion de jeunesse mise de côté par les aléas de la vie) se traduit par un
retour à soi, un acte libérateur pour les autres, mais également pour soi
(puisque la frontière entre soi et l’autre s’abolit naturellement dans ce lieu
de lien).
Une espèce de troc se met donc en
place : les mots de Solène sont offerts à ces femmes qui en échange
donnent du thé, des bonbons, des récits
de vie, des sourires, des regards, une place, une forme de reconnaissance.
Sumeya ne parle pas mais ses bonbons le font pour elle. Ils sont une
langue universelle.
[...] Solène s’est accoutumée à ces femmes, à leurs manières un peu
brusques, à leurs silences, à leur façon de dire merci. Les mots, elles ne les
ont pas toujours, mais il y a un regard, un sourire, une tasse de thé, un
tee-shirt donné. Parfois il n’y a rien du tout, et c’est sans importance.
(page 140-141)
Les bonbons de Sumeya sont
d’ailleurs des remèdes un peu magiques dont la présence se manifeste dans les
moments de détresse de Solène et qui la soulagent comme les bras maternels de
Binta. Peut-être mieux, comme en témoigne cette dernière citation, tendre,
drôle et tellement profondément juste :
[...] elle ouvre le pot et commence à manger les bonbons, un par un.
[...] Avec les oursons en guimauve, les petites bouteilles de Coca, les
Dragibus, les réglisses fourrées, les fraises Tagada, les œufs au plat, les
chamallows, les schtroumpfs et les crocos, le goût de la vie ressurgit – il est
trop sucré, piquant, écœurant, acidulé, mais il est là. (page 194)
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