dimanche 7 février 2016

Gagner du temps


Tromper l'impatience
Mon manuscrit que je croyais terminé, me semble maintenant ponctué d'imperfections. Mon regard a changé. Je me suis détachée un peu de ces pages soigneusement empilées. J'ai mis de côté mon petit ego ainsi que mon gros affect. Je retrousse mes manches et me penche avec ma toute nouvelle exigence sur le papier à griffonner.
Je relis, mots après mots. Je soupèse chaque phrase. Certains passages me plongent dans le désespoir. D'autres m'emportent et me rappellent pourquoi je continue. Je ne clos un chapitre qu'après être sûre, bien sûre, que ça fonctionne. Il faut que je sois satisfaite, que cette inexplicable conviction me saisisse, sinon, impossible de tourner la page, impossible d'avancer. 

Ignorer le doute 
La nuit, je chasse l'incohérence et la coquille. Le jour, rattrapée par le quotidien, la vie reprend son cours. Les tâches se succèdent et, perdue dans mes occupations, je sens en monter en moi le doute. Une certitude s'installe : il faut retravailler un passage. Je visualise une phrase. Elle tourne dans ma tête, elle et ses autres possibles. Cette pensée m'obsède, me suit partout. Je me couche plus tard, me réveille plus tôt. Il faut que je gagne quelques minutes pour retravailler ce passage, pour retrouver la paix. Le temps presse.

Voler du temps au temps
Ce projet doit exister. Il le faut. Ils l'exigent, ces personnages qui se meuvent sur le papier. Ils s'impatientent. Je repousse depuis trop longtemps l'échéance en me cachant derrière cette question du temps. Je ne l'avais pas, leur disais-je. Ils m'ont répondu, un jour d'aigreur, qu'il ne tenait qu'à moi de le trouver. J'ai courbé la tête. Ils avaient raison, je ne pouvais leur enlever cela. Alors j'ai commencé à voler du temps à mes journées pourtant bien remplies. Mais, il est plus facile de commettre un larcin dans l'ombre et c'est pendant la nuit que j'ai réuni le plus grand nombre de minutes. Dix aujourd'hui, trente hier, demain, vingt peut-être ? C'est peu, mais tout ce temps mit bout à bout représente une  telle richesse ! Je m'astreins à cette discipline nocturne avec gratitude : mon projet va voir le jour. Bientôt, je retrouverai non pas la tranquillité, mais la joie de poursuivre d'autres idées. Elles affleurent mon esprit parfois, je les griffonne à la hâte sur un carnet et les repousse en les berçant de promesses. 

Lire ailleurs
Écrire la nuit. Au petit jour, écrire à nouveau. Je persévère avec une rigoureuse application. Sans tout ce travail, rien n'aboutira. Mais, ainsi recroquevillée sur l'ouvrage, j'éprouve la nécessité en même temps de m'éloigner. Si je reste au milieu de ces pages, je vais étouffer, non pas de dégoût, mais de contentement. Si je ne me relève pas, je ne voudrais plus partager cette histoire. La tentation de ne la garder que pour moi est si forte ! Mais ils ne sont pas d'accord, les personnages. Ils veulent exister entre d'autres mains. Je serre les dents et pose la plume à côté de moi, en m’efforçant de ne pas penser au tic tac de l'horloge. Je tourne le dos un instant et me perds dans d'autres pages. Je voyage sur d'autres lignes. Je sors de moi-même. C'est comme un bain salutaire : je retrouve mes esprits et la distance du lecteur. Il est temps de revenir dans l'univers que je chéris, contrainte à tenir cette position, neuve et critique, du lecteur étranger au travail fourni, qui découvre et juge.

Se résoudre à tourner la page
Lentement, les pages défilent. J'ouvre un chapitre. Les lignes se déroulent harmonieusement et tout à coup, je bute sur un mot. Un paragraphe me laisse amère. Je m'arrête. Je lis, m'interroge. Que se passe-t-il ? Le problème, évident il y a un instant, se cache à présent dans un recoin de l'intrigue. Un jeu de patience commence, entre moi et les mots. L'idée m'impose une fidélité sans concession. Il faut que je transcrive son visage avec exactitude. Et soudain, je comprends et puise avec appréhension dans des ressources que je crois à chaque instant épuisées. Épanouissante torture ! Le paragraphe retrouve brusquement son équilibre. L'histoire se poursuit. Une nouvelle page se tourne.

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