La danse des mots

Le sujet s'impose. Il trône en haut de la page blanche. Il attend que je pose à ses pieds des mots. Au bout de quelques minutes, quelques heures, quelques jours parfois, ils se mettent en branle. C'est à peine une vibration au début. Il faut avoir l’œil pour apercevoir le premier mouvement, le premier frisson des mots.

Il ne faut plus bouger alors pour ne pas les effrayer. Il est impératif de les laisser trouver leur marque, leur rythme, leur place. Je les ai posé sur la feuille sous l’œil du sujet, dès lors ils ne sont plus à moi. Je suis inutile, n'ayant plus de mot à dire. Alors, je laisse la magie opérer.

C'est un spectacle fantastique à chaque fois lorsqu'ils osent le déplacement. Ils se hissent l'un sur l'autre pour monter sur la ligne d'avant ou descendre sur celle d'après. Ils cherchent leur place, se poussent, se bousculent, se jaugent, bougent encore. C'est une danse douce et saccadée dont le rythme change sans prévenir, parfois jusqu'au dernier instant.

Rien n'est jamais acquis jusqu'à ce que l'immobilité revienne. Rien n'a changé en apparence. J'avance sur la feuille, comme dans une pièce nouvelle, dont je découvre les contours dans l'ombre. Soudain la lumière se fait et le silence. J'observe l'émotion s'étendre délicatement au fil du texte. Les mots ont donné au sujet une description inattendue qui me surprend, qui me ravit. Ils ont fait un admirable travail.

Je peux tourner la page.