dimanche 13 mars 2016

La page blanche


"Vous avez une adresse mail ? Vous avez de quoi noter ?"

J'avais besoin des informations que cette association voulait m'envoyer, mais comment expliquer ma retenue première à sortir le carnet de mon sac, en arracher une page pour y écrire mon mail et la donner enfin à cette personne ?

La réponse m’est apparue sur le chemin du retour : j’avais amputé mon carnet d’une feuille ! Le mot n’est pas trop fort. Amputé. Geste anodin, me dira-t-on ? Non, si l’on considère qu’elle est maintenant dans une poche, froissée, ou posée sur un coin de meuble, ou encore oubliée au fond d’une veste. Seule une ligne de mots, inscrits en travers, d'une écriture hésitante, y est posée ! Une seule ligne ! Voilà la vie de cette feuille, choisie au hasard, détachée trop vite, égarée peut-être, gâchée pour moi !

Il a fallu que je sois bien raisonnable pour me séparer d’elle, moi qui la destinais à tellement plus ! J’aurai voulu ourler d’encre bleue chacune de ses lignes. Imprimer sur chacune de ses faces les mots, les idées fugaces de mon esprit. Ancrer sur elle les phrases qui se dessinent au fil de mes pensées et que je grave toujours sur le papier de mon carnet, avant de me laisser emporter par le rythme du quotidien. J’aurais voulu lui offrir de belles rimes, poser ici et là la fraîcheur du matin, la beauté d’un paysage, un scintillement d’étoiles, un mot doux à l’oreille, le rire des anges, les paroles d’une chanson, le pétillement d'un regard. Griffonner quelque chose de mieux que cette adresse numérique... Elle méritait tellement mieux que cela !

Maintenant, je comprends le prix de ce précieux papier. Je l’ai abandonné, laissé comme vide. La feuille est partie, elle erre désormais dans un lieu dont j’ignore tout. Elle erre à présent dans un ailleurs inconnu, bien loin de ces sœurs... Elle n'a pas de mémoire, elle ne peut se souvenir de moi. Je prends le temps, aujourd'hui, de lui offrir un mot d’adieu. Cet article est un hommage aux possibles qu’elle aurait pu éveiller. A elle, qui aurait pu faire chanter ma plume ! Mon encre est orpheline de cette terre fertile où elle ne pourra plus jamais se poser.

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