Atelier d'écriture du 16 janvier 2016 : « Clair-obscur »

" Il y a un temps où ce n'est plus le jour, et ce n'est pas encore la nuit. [...] Ce n'est qu'à cette heure-là que l'on peut commencer à regarder les choses, ou sa vie: c'est qu'il nous faut un peu d'obscur pour bien voir, étant nous-mêmes composés de clair et d'ombre. " Christian Bobin, Lettres d'or.

Me voici au troisième atelier d'écriture animé par l'auteure Salma Kojok.
J'arrive fatiguée, ayant trop veillé ces dernières nuits. J'ai peur de ne pas être disponible pour écrire cette fois. L'ombre de la feuille blanche plane au-dessus de ma tête. Je tremble. Le froid y est pour quelque chose, sans doute, mais pas seulement.

J'arrive à la médiathèque. Le sourire chaleureux de Salma m'accueille. Je pose mes affaires et mes craintes à mes pieds. J'écoute les instructions, les lectures du jour. Une photocopie de la liseuse de Vermeer passe de main en main. Salma nous explique que nous allons travailler aujourd'hui sur la lumière qui, comme en peinture, peut révéler les harmonies et les déséquilibres sur les objets et les personnages que l'on pose sur le papier. 

La magie opère, mon esprit prend son envol...

Exercice 1 :
Lecture d’un texte de Sylvie Germain sur Vermeer.
Dans ce texte, relever les mots qui nous évoquent la lumière et l’ombre.
Puis retenir 3 mots ou expressions.
Avec ces mots, écrire un texte de 4 phrases, dont la première et la troisième phrase commencent par : « La lumière fait intrusion… »

La lumière fait intrusion alors qu’il contemplait la nuit. Avec autorité, l’éclat artificiel voile le scintillement discret des astres, masquant la brume lunaire. La lumière fait intrusion et suspend le spectacle ordinaire des soleils minuscules épinglés au loin. La magie de l’instant a perdu sa clarté.

Exercice 2 :
Lecture d’un extrait de Vies minuscules de Pierre Michon.
En 25 minutes, écrire un texte commençant par : « La chandelle s’allume, on les voit tous les trois. »
Dans ce texte, utiliser 3 des mots relevés précédemment et travailler sur les jeux de lumière.

La chandelle s’allume, on les voit tous les trois. Le père, la mère et l’enfant regardent la flamme naître et danser sous leurs yeux. La pièce familière est soudain animée : des ombres fantastiques ondulent sur les murs du salon. « Fichue coupure ! Et moi qui ai oublié de racheter des fusibles ! » La voix du père brise le silence obscur. « On verra ça demain. » Sa femme le regarde comme d’ordinaire, avec douceur. Son visage est nimbé de l’éclat chaud de la bougie. Une clarté ancienne semble s’attarder un instant sur ses traits fatigués. Elle pose une main sur l’avant-bras de son mari, celui qui porte la bougie. Par ce geste, elle confirme le pardon et relègue aux ténèbres l’embarras de ne pouvoir utiliser les robots ménagers ce soir.  

Le silence se referme sur l’éclat salvateur. Les voilà revenus dans un temps pas si ancien où la fée électricité n’avait pas encore sa place dans tous les foyers. Une sombre vague d’appréhension se soulève, guette, suspendue un instant, prête à fondre sur les parents. L’enfant, jusque là muet, lance nonchalamment : « Qu’est-ce qu’on mange ? » Les parents baissent les yeux, ne sachant que répondre, attendant que l’autre prenne la parole le premier. Le garçonnet ne quitte pas la flamme des yeux. Elle danse dans ses pupilles, irradie ses boucles dorées. 

Les parents échangent un regard hésitant. L’ombre se relève, se frotte les mains. C’est son heure. Le père prend une grande inspiration. Il espère que l’air extérieur lui rendra la parole, lui insufflera les mots qui sauront ramener le réconfort dans sa maison. La flamme fragile succombe par ce souffle. La pénombre a gagné réduisant au silence les parents effarés. Mais, dans ce noir d’encre, sa victoire éphémère s’éteint brusquement lorsque, du néant, émerge, comme un petit miracle, le rire de l’enfant qui illumine la nuit.